(Aix-en-Provence 1809 – Marseille 1863)

Emile Loubon

Retour du troupeau, 1852

Huile sur toile, 94 x 173 cm

Don de l’Association pour les musées de Toulon, 1991

Inv. 991.9.1

 

Le retour du troupeau est incontestablement l’un des plus beaux achats de l’Association pour les Musées de Toulon dans le domaine de la peinture provençale au XIXe siècle.

Emile Loubon commence son apprentissage de la peinture et du dessin auprès de Jean Antoine Constantin à Aix, puis auprès de Marius Granet qu’il accompagne à Rome de 1829 à 1831. Il  complète ensuite sa formation à Paris où il s’installe de 1832 à 1845. Il fréquente les peintres de Barbizon, se lie d’amitié avec Troyon, dont il admire les vastes paysages occupés par des animaux.  Dès le début de sa carrière, Loubon est qualifié de peintre animalier aussi bien que de paysagiste. Troupeaux, scènes de transhumances, paysans habitent ses premiers paysages de campagne, puis ses paysages de Provence. Les années parisiennes sont déterminantes dans l’évolution  de sa peinture, il assimile les principes du naturalisme et du réalisme, au contact de Decamps, Dupré, Diaz, Rousseau… A 36 ans, Loubon revient à Marseille et prend la direction de l’École de dessin, succédant à Aubert. Il inculque à ses élèves la pratique du paysage en plein air, d’après nature, formant ainsi les meilleurs peintres de l’École provençale du XIXe siècle : Guigou, Grésy, Monticelli… Ainsi, sous son impulsion, se développe une école de paysagistes dont il est le maître ; les paysages de Provence étant le modèle. Sa fréquentation de la bourgeoisie marseillaise, et de l’amateur d’art Jean-Baptiste Charles-Roux, l’engage à créer la Société des Amis des Arts, puis la Société artistique des Bouches-du-Rhône qui, de 1859 à 1871, organise des expositions où Delacroix, Corot, Rousseau voisinent avec les artistes provençaux. Développant ainsi les liens entre Marseille et Paris, Loubon fait de Marseille l’un des centres artistiques les plus actifs après Paris. Il expose régulièrement au Salon de Paris jusqu’en 1863, date de sa mort.  Remarqué par la critique à partir de 1850, il est récompensé et ses paysages de Provence attirent le regard des collectionneurs. A l’aube du développement du tourisme, sa peinture fait connaître dans les milieux parisiens la Provence intérieure, minérale, sèche et ensoleillée, celle que Mistral décrit dans Mireille (1859). 

Dans Retour du troupeau, paysage pittoresque qui met en scène bouviers et troupeaux et dont l’étang de Berre clôt l’horizon, l’homme accompagné de ses chiens conduit le bétail. Il s’agit de la transhumance, le troupeau retourne vers l’étang de Berre. Le ciel est composé d’une bande de nuages placée au-dessus d’une ligne d’horizon très haute. En écho aux nuages, une épaisse poussière rend le paysage impalpable.  L’agitation se fait sentir, la notion de vitesse est aussi évoquée. Les ombres portées au sol mettent en exergue la lumière éclatante qui souligne les formes. Le paysage apparaît en plein soleil. Attentif à la décomposition du mouvement (phénomène accentué après l’apparition des premières photographies animées en 1851), Loubon peint ses personnages et ses animaux dans une position instable. Le bouvier est prêt à avancer, le chien, à l’arrêt, va bondir sur le troupeau qui court, pressé par les aboiements du chien et le fouet qui claque sur le sol. Le mouvement est amplifié par la poussière soulevée lors du passage des bêtes. Le paysan est représenté de dos, il porte une culotte bleue, une chemise blanche. En suggérant le mouvement et la vitesse, en introduisant le flou dans le second plan, l’artiste se détache des compositions conventionnelles. Le rendu du mouvement caractérise son style. Au premier plan du tableau, Loubon s’applique à restituer l’aridité du sol calcaire en utilisant de larges coups de brosse. En 1924, Ferdinand Servian, dans son ouvrage Remarques sur la technique de quelques peintres provençaux, décrit la technique de Loubon : « Il utilise aussi le couteau à peindre pour déposer de menus empâtements, des grumeaux de matière qui annoncent la technique des modernes […]. Il promenait sur les rochers et sur les points culminants de menus empâtements, de petits “gratillons” au moyen d’un couteau et faisait glisser son pinceau, sans glacis, sur les parties destinées à jouer un rôle secondaire […]. La terre de Sienne et la terre d’ombre sont ses couleurs de prédilection […]. On s’aperçoit bien vite que la couleur, si granuleuse qu’elle paraisse, a été posée à fleur de toile et que certaines rugosités sont dues, non à une construction au mortier, mais aux artifices de la touche.»  Cette transcription réaliste de la minéralité des terrains et de la végétation méditerranéenne apparaît dans l’ensemble de ses paysages. Au travail de la touche et de la matière s’ajoute la technique du dessin que le maître aixois Constantin lui a enseignée. Dans ses carnets de dessins (un exemplaire est conservé au MAT), Loubon étudie les postures des animaux (chiens, vaches, veaux, sangliers…). Ces croquis constituent un répertoire dans lequel il puise pour créer ses arrangements. Soleil, poussière et mouvement qualifient les paysages animés de Loubon. En 1852, date de l’œuvre du MAT, Charles Tillot, dans Le Magasin Pittoresque, rend hommage aux qualités du peintre : « […] Il excelle à rendre la lumière éclatante du Midi, et ces effets éblouissants qui n’appartiennent qu’aux terrains plats et privés d’arbres sous un ciel de feu. » Loubon expose ainsi sa vision d’une Provence grise et poussiéreuse. Avec lui naît le paysage provençal. Dans Retour du troupeau, il place le spectateur « dans » et non « devant » le paysage, il l’invite à suivre le troupeau.

Brigitte Gaillard – conservateur en chef des musées de Toulon

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