(Lyon 1937 - )

Gérard Deschamps

Plastique à la tapette, 1961

Technique mixte sur panneau, sous vitrine

91,3 x 193,5 x 17,2 cm

Achat 1983

Inv : 983.5.61

 

La période des années 1960 est marquée par l'émergence de nouvelles utopies après la reconstruction d’après-guerre, mais aussi par une grande croissance économique avant le choc pétrolier de 1973. L'objet y prend une place prépondérante grâce au développement industriel et à la production en masse, peu onéreuse, rendue possible notamment grâce à la matière plastique.

C’est dans ce contexte que va émerger un mouvement artistique bâti autour d’artistes différents aux personnalités fortes, Le Nouveau Réalisme. Le groupe est officiellement fondé en 1960 avec la signature du Manifeste des Nouveaux Réalistes par Yves Klein, Arman, François Dufrêne, Raymond Hains, Martial Raysse, Daniel Spoerri, Jean Tinguely, Jacques Villeglé autour de la figure, parfois contestée, du critique d’art et théoricien du mouvement Pierre Restany. César, Mimmo Rotella, puis Niki de Saint Phalle et Gérard Deschamps intègrent le groupe en 1961. Ce qui lie toutes ces individualités est la volonté d’ancrer l’art dans le réel et le quotidien au sein d’une société moderne de consommation qui est celle de la ville, des magasins, de la publicité... Les artistes de la période vont s'emparer des objets, se les réapproprier, les extraire de leur contexte premier, les accumuler, les associer et dissocier, les détruire, les transformer, les compresser, décontextualiser... C'est toute la sémiologie des objets qui est impliquée. Ce qui est important, ce n'est pas seulement l'aspect formel mais bien le nouveau langage qui se dégage de cette récupération.

Gérard Deschamps s’oriente très tôt vers la peinture abstraite de manière autodidacte. Toutefois, il va rapidement s’en détourner et commencer à travailler l’élément emblématique de son travail, le tissu. Il chine et récupère du textile qu’il plie, enduit et colle, afin de former des tableaux-relief. Exposé par Arman, il fait la connaissance des futurs membres du groupe Yves Klein, Jacques Villeglé, mais surtout Raymond Hains qu’il considère comme « le pape » des Nouveaux réalistes. En 1957, il est envoyé sur le front en Algérie durant 21 mois. Marqué par son expérience de la guerre il développe des séries sur la thématique militaire. Les bouts de tôles, de bâches ou de barrettes de décoration se multiplient dans ses compositions. Les objets usés et usagés sont porteurs d’une histoire, l’artiste se place alors en conservateur, chargé d’immortaliser les témoins d’une époque. Parallèlement à cela, Gérard Deschamps va continuer de développer son attrait pour les tissus. Il débute Chiffons, son travail d’accumulation de dessous féminins, créant des compositions aux couleurs douces de corsets et autres bas, qu’il expose à la vue des passants dans les galeries. La recherche des textiles, comme les tissus d’essuyage japonais, belges ou d’ameublement lui permettent de se renouveler sans cesse. Gérard Deschamps est à la fois peintre, archéologue et historien. Il extrait des éléments du réel qu’il va figer dans une nouvelle composition artistique. Même détournés de leur usage premier, ils continuent de produire une réaction émotionnelle chez le spectateur.

Son œuvre, Plastique à la tapette de 1961, acquise par le Musée d’Art en 1983 est emblématique de son travail expérimental des Panoplies. Des objets neufs intègrent ses œuvres. Ici,  des têtes de balais et une tapette pour battre les tapis. Ils surgissent d’un fond recouvert de nappes et de toiles cirées. L’artiste joue avec les matières, les mouvements et les formes comme le ferait un peintre. L’œil se perd dans la multiplicité des détails hasardeux et cherche les objets au milieu de cet océan acidulé. Les différents éléments résonnent entre eux et évoquent l’espace privé du domicile. C’est le quotidien de la femme des années 1960 qui nous est présenté, période de profusion des ustensiles dédiés au ménage et aux soins du foyer. L’univers féminin de la grande distribution. La couleur y est vive, expressive, bariolée et persiste sur notre rétine. Cette œuvre pourrait s’opposer à son travail sur le thème militaire, aux formes plus tranchantes et masculines. Toutefois, cela révèle la grande pluralité de son œuvre, qui est voulue comme le commentaire d’une période qu’il est en train de vivre.

Les Panoplies sont les natures mortes de la société de consommation moderne et abondante. Les couleurs industrielles sont créées dans le but d’attirer et de plaire aux consommateurs. C’est le cas des objets de loisir ou de plage. C’est d’ailleurs cette trame que développe Gérard Deschamps tout au long des années 1980 et 1990 en délaissant de plus en plus le tissu au profit de l’objet. Égal à lui-même, il poursuit aujourd’hui sa démarche avec les Pneumostructures : installations d’objets standardisés gonflables issus du commerce, très colorés, qu’il détourne d’une manière ludique.

«Je n’ai pas abandonné la peinture. J’ai constaté qu’elle n’était pas seulement dans les tubes.» (Gérard Deschamps)

Joyce MAGNA - Assistante de conservation du Patrimoine

 

Contacts