(Tarragone 1658 – Marseille 1733)

Michel Serre

Bacchus et Ariane quittant l’île de Naxos

Huile sur toile, 182,5 x 302 cm

Achat, 1872

Inv. 964.5.1

 

A l’âge de dix ans, Michel Serre s’enfuit de sa maison natale pour se réfugier à la Chartreuse Scala Dei, un foyer artistique en Catalogne. Là, il fait la rencontre du moine-peintre Joaquim Juncosa (1631-1708), considéré comme son premier maître et qui l’emmène à Rome vers 1670. Après avoir séjourné cinq ans en Italie où il fréquente différents ateliers (Rome, Naples, Gênes), il s’installe à Marseille en 1675. Dominant un marché disponible, du fait de l’absence d’autres artistes marseillais importants, Michel Serre  se fait rapidement connaître et reçoit de nombreuses commandes d’une clientèle  variée. Artiste polyvalent, il peint aussi bien des peintures religieuses (qui constituent la majeure partie de son œuvre), que des portraits, des peintures mythologiques, des peintures d’histoire, des décors d’opéras ou d’églises… En 1693, il est nommé peintre des galères du Roy. En 1704, il effectue un séjour à Paris et entre à l’Académie Royale de Peinture. L’œuvre de Michel Serre atteint son apogée en 1720 à Marseille lors de la peste. Témoin attentif de cette période tragique, il réalise de nombreuses esquisses, d’après les scènes vécues, qu’il utilise ensuite dans deux grandes compositions devenues célèbres (conservées au Musée des Beaux-Arts de Marseille). Peintre prodigieux, Michel Serre est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands représentants de la peinture baroque en Provence au XVIIe siècle.

Le Musée d’Art de Toulon conserve cinq œuvres de ce grand artiste : trois peintures religieuses et deux peintures mythologiques. Ces deux œuvres mythologiques sont inspirées de l’histoire d’Ariane, présente dans la mythologie gréco-romaine. Fille de Minos, roi de Crète, et de Pasiphaé, Ariane s’éprend du héros athénien Thésée venu combattre le Minotaure. Pour lui permettre  de trouver son chemin dans le labyrinthe, construit par Dédale et prison du monstre, Ariane lui remet un peloton de fil qu’il déroule et lui permet de sortir du labyrinthe. Pour échapper à la colère de son père, elle s’enfuit avec Thésée qui lui avait promis de l’épouser. Mais ce dernier l’abandonne durant son sommeil sur l’île de Naxos, une des Cyclades. Selon la tradition la plus courante, Bacchus (ou Dionysos dans sa version grecque) la console et l’épouse, lui offrant pour ses noces une couronne d’or, œuvre de Vulcain (Héphaïstos), et l’emmène ensuite sur l’Olympe.

De nombreux artistes sont séduits par l’histoire de Bacchus et Ariane, qui est un sujet abondamment traité dans tous les domaines artistiques : littérature, peinture, musique. Ce thème est particulièrement en vogue au XVIIe siècle. La première toile mythologique connue de Michel Serre (malheureusement détruite lors de la Seconde Guerre Mondiale) représente Bacchus et Ariane et fut présentée comme morceau de réception pour son entrée à l’Académie royale de Peinture en 1704. Par la suite, il fera d’autres peintures mythologiques dont la plupart ont disparu ; rendant ainsi précieuses les deux œuvres du MAT.

 

Ces dernières représentent toutes les deux le moment où Ariane est abandonnée sur l’île de Naxos. L’œuvre Ariane à Naxos illustre la découverte par Bacchus d’Ariane après son abandon par Thésée (le bateau du héros s’éloignant en arrière-plan) ; tandis que l’œuvre Bacchus et Ariane quittant l’île de Naxos se déroule après le mariage des deux protagonistes. Ariane épouse le dieu et quitte avec lui l’île de Naxos pour l’Olympe.

Cette œuvre est divisée en deux parties, montrant ainsi deux scènes complémentaires. Michel Serre reste fidèle à la représentation traditionnelle de cet épisode. Dans la partie de gauche, on découvre une Ariane à la peau claire, presque blanche, qui contraste avec la peau plus foncée de Bacchus. Son bras droit est levé et son index pointe en direction de la couronne d’or qui coiffe ses cheveux blonds et bouclés, et qui symbolise son mariage récent avec le dieu. Sa main gauche est posée sur celle de son époux, symbole de leur union.  Elle est au centre de l’attention : dieu, putti et autres personnages la regardent.

Dieu de la vigne, du vin, de l’ivresse mais également le dieu du Théâtre, Bacchus est représenté dans les arts sous les traits d’un jeune homme, le front et le corps entouré de lierre et de vigne, positionné à côté d’un char tiré par des panthères. Derrière lui, un faune porte un grand bâton évoquant un spectre, qui pourrait s’apparenter au thyrse, un attribut du dieu. De son index gauche, Bacchus pointe la scène festive qui se déroule dans la partie droite du tableau. Considéré également comme le dieu de la vie joyeuse, des fêtes et des jeux, il aime s’entourer des Faunes (personnage mi-homme, mi-bouc) et des Bacchantes, un groupe de créatures (appelé « le thiase » dans la mythologie grecque) qui l’accompagnent et le servent en festoyant en son honneur. Danse, gestuelle désordonnée et ivresse, marquée par les joues très rosées et les postures de certains personnages, s’entremêlent dans cette fête bacchanale. Le lierre, les feuilles de vignes et la grappe de raisin sont présents sur l’ensemble du tableau et rappellent la présence du dieu. Cette œuvre possède toute les caractéristiques du style baroque : mise en scène théâtrale, dynamisme de la composition, rendu du mouvement dans les corps et les drapés,  emploi de couleurs flamboyantes (rouge et bleu), contraste des coloris, utilisation des jeux d’ombres et de lumière. A cela, il rajoute une touche plus personnelle. Evoquant son lien avec la Méditerranée,  le peintre introduit le motif de la marine en arrière-plan, rappelant sa fonction de peintre et d’enseignant à l’Arsenal des galères.  Par ailleurs, il remplace le canthare (vase à anses utilisé pour boire du vin), un objet habituellement attribué à Bacchus et son cortège, par deux aiguières. Ces dernières rappellent celles que l’on trouve dans les tableaux de Meiffren Conte (1630-1705), un artiste surtout connu pour ses natures mortes d’apparats et très actif à Marseille durant le XVIIe siècle, que Michel Serre a sans doute côtoyé.

Lucie BARBIER – Assistante de conservation du patrimoine

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